Iran : une championne de kung-fu au pays du puritanisme
Le Monde.fr|
Par Cécile Sarabian (Monde Académie)
Au premier abord, on a du mal à imaginer que Niloofar, comptable de 22 ans, cache sous ses vêtements islamiquement corrects deux ceintures noires 3e dan de kung-fu et de wushu. Et pourtant, cette jeune femme de Machhad, ville sainte au nord-est de l'Iran, a déjà remporté 24 médailles d'or lors de compétitions régionales et disputé de nombreuses compétitions nationales. Elle est aussi titulaire d'une licence pour l'enseignement de ces deux pratiques. De quoi prendre un sacré coup à l'estomac.
Comme beaucoup de jeunes non-mariés dans son pays (cela pourrait changer, elle rencontre désormais des khastegar), elle vit encore avec sa mère et ses frères, dans un quartier aisé de Machhad. Elle commence les arts martiaux à 10 ans et sept ans plus tard, malgré son apparence de midinette, elle est déjà instructrice de wushu sportif (aussi appelé sanda – version de combat full contact, contrairement au Taolu qui est la forme artistique) et de kung-fu traditionnel. Le kung fu to'a (mélange de kung fu traditionnel et de yoga), né en Iran dans les années 1960, est désormais l'art martial le plus populaire dans le pays. Banni à la révolution islamique de 1979, il est aujourd'hui toléré et compte 200 000 adeptes."TRAC"
"Au début, je voulais juste pratiquer un sport", dit-elle. Mais assez vite, Niloofar, la battante, se prend au jeu. Pour obtenir sa licence d'instructrice, elle se rend à Téhéran et passe un examen pratique devant un jury international. "J'avais le trac mais j'ai donné le meilleur et finalement j'ai réussi, poursuit-elle. J'attends la même chose de la part de mes élèves, qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, c'est pour ça que je suis dure avec eux !"
Il y a deux ans, Niloofar arrête la compétition pour terminer un master en économie. Elle se borne alors à enseigner l'anglais et surtout le kung fu et le wushu à des femmes adultes et à des garçons âgés au maximum de 12 ans, pour respecter la limite des contacts autorisés entre hommes et femmes non mariés dans la République islamique. Elle se souvient : "Une femme de 40 ans et ses 3 enfants venaient à mes cours, raconte Niloofar. La première fois, elle accompagnait juste ses garçons. Mais dès l'instant où elle a mis les pieds sur le tatami, elle est devenue accro ! On est devenues amies, c'était une acharnée. Elle était complètement déprimée lorsqu'elle a commencé, avec de gros problèmes financiers, et n'aspirait même plus à vivre. Avec ce sport, elle oubliait tout. Il a changé sa vie... Désormais, elle est ceinture noire de wushu et enseigne à d'autres femmes et enfants."
Il faut dire que depuis la naissance du wushu en Iran en 1987 – grâce au maître Hossein Davoodi Panah (l'un des pionniers du kung-fu to'a) – cet art martial suscite un véritable engouement. Aux derniers championnats du monde d'Ankara en 2011, l'Iran se classait deuxième, juste derrière la Chine, avec 11 médailles dont 6 en or pour le sanda, y compris trois femmes. En 2008, la championne iranienne Zahra Karimi avait été médaillée d'or au tournoi de wushu de Pékin, tout comme Khadijeh Azadpour aux Jeux d'Asie de 2010.
DIKTATS
Malgré ces succès, la pratique du wushu féminin reste limitée par les diktats du gouvernement iranien. Ainsi, les championnats de la Coupe perse de wushu (compétition internationale), dont les derniers se sont déroulés en 2012 à Zanjan, 350 km à l'ouest de Téhéran, n'étaient ouverts qu'aux hommes. Sur la page de l'Association de wushu de la République islamique d'Iran, il est écrit que "personne ne doit se sentir contraint ou empêché de participer à ce sport, à condition qu'il ne viole pas l'indépendance, la liberté, l'unité et les règlements de la République islamique d'Iran."
Il aurait pu être ajouté : "Les règles ne sont pas les mêmes pour tous à l'arrivée". En effet, Khadijeh Azadpour a confié au site Web Tebyan que les clés de l'appartement offert par les autorités en récompense de sa médaille d'or ne lui ont jamais été remises. La raison ? Elle n'était pas mariée... Les inégalités ne s'arrêteraient pas là, d'après le reporter sportif, Mehdi Rostampour, de Radio Farda : "Les organisations sportives iraniennes ont donné aux athlètes hommes envoyés à Guangzhou 10 millions de tomans [plus de 6000 euros] alors que leurs collègues femmes n'en touchaient que 900 000 [550 euros]."
Niloofar est gênée par ces tracas officiels, qui ont sans doute freiné ses ambitions sportives – ce qu'elle refuse de dire explicitement. "Nous devons obéir aux règles", dit-elle seulement, ces règles qui interdisent lors des combats la prise de photos par des personnes non membres de l'organisation, ou encore toute présence masculine dans les gradins quand des femmes se battent, et vice versa.
MODÈLE D'ÉLÉGANCE
"Ma mère, qui pratique quotidiennement l'aérobic dans le salon, et mes deux frères, l'un karatéka, l'autre body-builder, m'ont toujours soutenue", relève-t-elle. Niloofar a perdu son père lorsqu'elle avait 10 ans, juste avant de commencer les arts martiaux. Elle voyait en lui un modèle de force et d'élégance qui a certainement influencé ses choix.
En 2007, de nouvelles mesures restrictives ont été prises par le Comité olympique iranien à l'égard des femmes athlètes : interdiction de participer à toute compétition internationale impliquant un contact physique avec un homme. "Une femme entraîneur est exigée pour accompagner ses athlètes féminines. Si elle n'est pas trouvée ou si l'arbitre est un homme, les athlètes n'ont pas l'autorisation de participer", était-il mentionné dans une note adressée à toutes les fédérations sportives du pays. Ce qui a eu pour effet que les délégations iraniennes féminines sont le plus souvent limitées au tir.
"Je n'ai jamais participé à des compétitions internationales à cause de nos problèmes en Iran et pour des raisons personnelles." Quelles raisons ? Silence. Niloofar admet seulement qu'elle va réorienter sa vie autour de deux nouvelles ambitions : trouver le prince charmant et vivre entourée d'animaux. Elle a donc mis à jour son profil Facebook, avec des photos de chatons et de cannetons.
Cécile Sarabian (Monde Académie)
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