vendredi 14 juin 2013

Iran : un scrutin verrouillé par le Guide suprême

LE MONDE| • Mis à jour le
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Le Guide de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei.
Le Guide de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei. | AFP/HO

C'est une campagne électorale terne et sans réel engouement populaire qui s'achève en Iran. Vendredi 14 juin, 50,3 millions d'Iraniens sont appelés à élire le successeur du président Mahmoud Ahmadinejad, arrivé au terme de son second mandat de quatre ans, marqué par l'isolement croissant de son pays, une crise économique aggravée par les sanctions internationales et la répression sans merci de toute voix dissidente à l'intérieur de l'Iran.

La disqualification, le 21 mai, des deux principales figures qui pouvaient perturber un scrutin que le numéro un du régime, le Guide suprême Ali Khamenei, entend maîtriser de bout en bout, avait donné le "la" d'une compétition avant tout destinée à consolider un régime encore ébranlé par la secousse de juin 2009.
Lire en édition abonnés, Iran, le vrai visage du pouvoir et notre dossier d'archives sur le "Mouvement vert" de juin 2009.
La contestation de la fraude présumée, qui avait vu la réélection dès le premier tour de M. Ahmadinejad, avait jeté des millions de manifestants dans la rue. La répression qui s'en était suivie avait écoeuré la foule des protestataires, essentiellement constituée des classes moyennes urbaines éduquées, qui avaient alors pris pour cible de leurs slogans le Guide suprême.
UNE CAMPAGNE BIEN PLUS MOROSE QU'EN 2009
Cette cassure entre le régime et une bonne partie de la population ne s'est jamais ressoudée. Au contraire, le trouble a gagné les plus hautes sphères de l'Etat, déchirées depuis quatre ans par les querelles entre factions ultraconservatrices, notamment entre l'entourage du Guide et celui du président.
Contrairement à 2009, où Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi avaient soulevé une vague d'espoir sans précédent dans le camp réformateur, "la campagne s'est tenue dans une ambiance beaucoup plus morose et sécuritaire", faisait remarquer Louis Racine, doctorant à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, lors d'une intervention à l'Institut français des relations internationales, mardi soir à Paris.
Le jeune chercheur, qui a assisté au "coup d'Etat électoral" du 12 juin 2009, se souvient d'une liberté de parole, de débats et de manifestations "qui donnaient l'illusion d'une alternance possible". Rien de tel quatre ans plus tard. "On a vraiment l'impression d'assister à un processus factice", ajoute-t-il. Un processus dont le but est triple : "rattraper la gestion économique calamiteuse d'Ahmadinejad" ; "se renforcer dans un contexte où le régime se sent menacé à l'intérieur comme à l'extérieur" ; "parachever la reconfiguration du champ politique" au profit du Guide, plus puissant que jamais, mais aussi plus isolé.
Ce dernier objectif, déjà perceptible aux législatives du printemps 2012, a conduit à une sélection très soigneuse des candidats. L'ex-président (1989-1997) Hachémi Rafsandjani, figure historique de la Révolution mais aussi incarnation d'un certain pragmatisme – il est libéral en économie et ouvert au dialogue avec l'Occident – a été écarté sans ménagement. Tout comme le meilleur ami du président sortant, Esfandiar Rahim Mashaie, un populiste, mystique et ultranationaliste, dont l'accession au pouvoir aurait entériné la naissance d'une dynastie Ahmadinejad. Contrairement aux menaces qu'il avait agitées, le président sortant n'a fait éclater aucun scandale, se rangeant derrière la candidature de l'ultraconservateur Saïd Jalili.
HUIT CANDIDATS, DONT QUATRE ULTRA-CONSERVATEURS
Au terme de cette sélection restaient huit candidats dont quatre ultra-conservateurs proches du Guide suprême, un parfait inconnu (Mohammed Gharazi), un éternel perdant (Mohsen Rezaie), un réformateur de second rang (l'ex-premier vice-président Mohammed Reza Aref) et un conservateur modéré (Hassan Rohani), le seul religieux en lice. C'est paradoxalement ce dernier qui s'est imposé comme le meilleur espoir du camp réformateur.
Bien que laminé par la répression, les limogeages et les départs en exil, ce courant continue de survivre dans une partie non négligeable de l'opinion, qui place ses espoirs dans tout responsable politique plaidant pour un minimum d'ouverture à l'intérieur du pays et de détente avec le reste du monde. Proche de M. Rafsandjani, M. Rohani a obtenu le soutien de l'ex-président empêché de se présenter, ainsi que celui de l'ancien président Mohammed Khatami (1997-2005). Ses meetings, ainsi que sa présence aux funérailles de l'ayatollah réformateur Jalaleddine Taheri à Ispahan, se sont transformés en quasi-manifestations contre le Guide.
Cet engouement et le fait que des partisans des deux leaders du "mouvement vert", MM. Moussavi et Karoubi, assignés à résidence depuis février 2011, ont crié des slogans pour demander leur libération, pourraient coûter à M. Rohani sa participation à un éventuel second tour, malgré le désistement, mardi, de M. Aref en sa faveur.
LA QUESTION NUCLÉAIRE AU COEUR DES DÉBATS
Pour éviter une trop grande dispersion des voix entre ultra-conservateurs, Gholam Ali Hadad-Adel, dont la fille est mariée au fils du Guide, s'est retiré de la course lui aussi. Restent donc deux favoris, Saïd Jalili, un apparatchik terne, connu des Occidentaux pour son intransigeance dans les négociations sur le nucléaire, et Mohammad Bagher Ghalibaf, le maire de Téhéran, un homme à poigne issu des pasdarans (gardiens de la révolution), l'armée du régime, mais apprécié pour son efficacité gestionnaire. Ali-Akbar Velayati, ex-ministre des affaires étrangères et conseiller diplomatique du Guide, pourrait jouer les trouble-fête. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait lors du dernier des trois débats télévisés, le 7 juin, entre les huit candidats en taxant M. Jalili d'"incompétence" dans son approche des négociations sur le nucléaire avec l'Occident. Pour lui, l'intransigeance n'a pour seul résultat que "davantage de sanctions sévères contre l'Iran".
M. Rohani, qui avait négocié une suspension de l'enrichissement de l'uranium avec la "troïka" européenne en 2004, a renchéri en moquant la stratégie de M. Jalili, qui consiste à ne faire que "répéter ses propres positions". M. Jalili, qui fait figure de favori mais aussi d'épouvantail dans cette campagne présidentielle, a réitéré son credo – seule la "résistance" paie – et attaqué ses adversaires sur le fait qu'ils n'ont jamais rien obtenu des Occidentaux en échange de leurs concessions.
Il est rare, voire inédit, que la question nucléaire soit ainsi débattue sur la place publique, même si aucun candidat ne remet en cause le bien-fondé de ce programme, que les Occidentaux soupçonnent d'avoir des visées militaires. L'opinion iranienne reste plutôt favorable à ce projet, synonyme de fierté nationale, mais commence à mettre en doute l'intransigeance qui a conduit à des sanctions – aggravées le 3 juin par Washington – ayant plongé le pays dans la crise et l'ayant isolé du reste du monde.
Cela aura-t-il une incidence dans les urnes vendredi, sur le résultat comme sur la participation, déjà annoncée à 74 % par l'agence semi-officielle Fars ? Seul un homme le sait, le Guide Khamenei, maître absolu du pays.

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