dimanche 1 février 2015

Le ghetto de Varsovie



Introduction

    En 1939, Varsovie est la plus grande ville juive d’Europe, avec une communauté de près de 400 000 personnes. Un immense cimetière préservé des destructions de la guerre témoigne encore aujourd’hui de son importance.  





    Dès le Moyen-âge, les quartiers juifs existaient, ce n’est qu’à partir du XVIème siècle que ces quartiers prirent le nom de « ghetto ». L’Allemagne supprime ces ghettos au XIXème siècle. Ils réapparurent en Pologne, en septembre 1939, après l’occupation.
    «  Ce dimanche 13 octobre a laissée une impression particulière. Il est maintenant certain que 140 000 juifs du sud de Varsovie (…) devront abandonner leur maison et aller vivre dans le ghetto. Les juifs ont été expulsés de tous les faubourgs, et 140 000 chrétiens devront quitter le quartier du ghetto. (…) Déménagement de meubles du matin au soir. Les gens assiégeaient en foule le conseil juif, cherchant à savoir quelles rues allaient être comprises dans le ghetto. » Emmanuel Ringelblum, historien de Varsovie, octobre 1940.

1 - L'organisation du Ghetto

    Le ghetto est formé par le centre de la ville de Varsovie. Il est initialement composé de deux parties, le grand ghetto, relié au petit ghetto par un pont en bois. Le tout est entouré sur 18 kilomètres de murs de plusieurs mètres de haut et de fil barbelé.




    La gestion du ghetto est déléguée au « conseil juif » (Judenrat) par les occupants. Ces mêmes occupants emploient la main-d'œuvre du ghetto pour les besoins de l'armée et implantent de nombreux ateliers et usines dans le quartier juif. Le Jüdischer Ordnungsdienst (service d'ordre juif) est chargé de maintenir l'ordre. Sous la pression constante des nazis, le Judenrat, sous la direction d'Adam Czerniakow, mit en place un système de services sociaux, éducatifs, religieux et médicaux pour faire face aux problèmes énormes causés par l'afflux des Juifs dans le ghetto. Il y eut jusqu'à 500.000 personnes au début de 1942. Ils doivent faire régner l'ordre dans le ghetto et tentent, dans des conditions impossibles, d'améliorer le sort des habitants. Le "Conseil juif" tente d'organiser des cantines populaires, mais de moins en moins de nourriture entre dans le ghetto.



Le tracé du mur du ghetto aujourd’hui à Varsovie.


2 - Les conditions de vie

    Les habitants du ghetto de Varsovie vivaient dans des conditions inhumaines. Tout d'abord dues à la surpopulation : 307 hectares pour 400 000 personnes (soit environ une personne pour 7,5 m²) de nombreuses familles vivaient à quinze ou plus dans la même pièce.
    Il n’y avait presque rien à manger et la quête de nourriture représentait un combat quotidien pour les habitants du ghetto car les Allemands donnaient une ration de 200 calories par personnes et par jour, (la moyenne minimum pour un adolescent par jour est de  2 800  calories). Les denrées introduites en contrebande depuis le « côté aryen » étaient donc essentielles pour survivre. Mais il fallait faire attention aux gardes allemands qui abattaient sur le champ tous ceux qui étaient surpris à cacher de la nourriture (souvent de jeunes garçons). De plus les hivers étaient rudes, et les habitants n'avaient pas de quoi se chauffer, si bien qu’ils appelaient « perle noire » un morceau de charbon ordinaire.
    Ces conditions de vie entraînèrent inévitablement des maladies et de graves épidémies, en particulier le typhus, une infection provoquée par des bactéries transmises à l’homme par des rongeurs, acariens, puces ou poux de corps et dont les symptômes sont : maux de tête violents, fièvre élevée, toux, douleurs musculaires, frissons, chute de la tension artérielle, photophobie, délire... Le nombre de morts « naturelles » augmenta de façon spectaculaire. En 1941, un habitant du ghetto sur dix mourut de faim ou de maladie. Il était impossible de se soigner car les médecins juifs manquaient de médicaments, de vivres et d’installations « Ils restent couchés et ont à peine la force de se lever pour manger ou aller aux toilettes. Ils meurent du seul fait de chercher de la nourriture. Parfois, ils meurent même un morceau de pain à la main. » (Un médecin). On ne disposait d’aucune ressource pour aider les milliers d’orphelins squelettiques qui erraient dans les rues. Des cadavres jonchaient les trottoirs (des enfants recouverts d’un journal) en attendant d’être ramassés et emmenés à la fosse commune. On n'y faisait plus attention, tellement le nombre d'enfants morts dans les rues était considérable.


 « Ils avaient de la fièvre et ne
cessaient de demander à boire (...).
Nous les renvoyions chez eux (...)
parce tous les jours nous admettions
une dizaine de nouveaux enfants et
il fallait en renvoyer le même
nombre (...). Nous les renvoyions
pour qu'ils meurent de faim chez
eux ou reviennent, gonflés
d'œdèmes, pour mourir en paix.
C'était tout les jours ainsi. »

                        


Membre du Judenrat comptant les cadavres avant qu'ils soient enterrés en fosse commune



    Les Allemands utilisent les habitants du ghetto comme esclaves, ils aident l’armée allemande à la production de guerre. Cette exploitation sert de main-d’œuvre peu coûteuse ainsi que de divertissement. Les Allemands donnèrent aussi aux Juifs l’administration interne de leur communauté, le conseil juif (Judenrate) avait pour but de transmettre les ordres à la population juive et ils étaient contraints de se conformer aux instructions sous peine de mort. Le conseil devait dresser des listes de noms pour le travail obligatoire et la déportation. La « police » juive devait procéder aux rafles. Les « travaux » juifs étaient donc imposés par les Allemands dans le seul but de les exploiter, de se moquer, ou de les traumatiser (devoir faire les listes et aller arrêter les gens à exterminer).
    Face à cela, la résistance et la fuite était une des principales préoccupations des habitants du ghetto, mais les sanctions  collectives et cruelles imposée à la suite d’une fuite rendaient ce choix difficile. Il n'y avait donc aucune issue.
    Malgré tout, les Juifs essayaient de mener une vie « normale ». Ils poursuivirent des activités culturelles comme la musique, le théâtre, l’art, cela leur permettaient de garder le moral. On écrit des journaux personnels, par des groupes de personnes qui recueillent des informations par des documents, des témoignages. Même si la scolarisation était illégale, on s'efforçait d’instruire les enfants...
    Bien que les Allemands aient incendié de nombreuses synagogues après l’occupation de la Pologne, les Juifs restaient nombreux à pratiquer leur religion (même si encore cette activité était interdite) ; quand un SS les surprenaient lors d’un office religieux, ils faisaient subir toutes sortes d’humiliation aux Juifs (on coupe la barbe, on les fait uriner sur les livres de prières et rouleaux de la Torah) ou bien ils les tuaient. Les Allemands confisquèrent et détruisirent les archives historiques des juifs d’Europe de l’Est (vieilles de plusieurs siècles).     Lorsqu'on commença à déporter la population des ghettos (en 1942), les livres et les manuscrits des juifs servaient de combustible pour le chauffage...
    Sans défense, ils se défendent malgré tout, partout où ils le peuvent et aussi longtemps qu’ils le peuvent, même dans des conditions bien plus difficiles que celles des autres mouvements de résistance de l’Europe occupée. Comme leur extermination physique est l’objectif déclaré de la politique nazie, la plus petite action dans la lutte pour la survie, la moindre infraction aux lois dirigées contre leurs droits les plus élémentaires, deviennent un fait de résistance active. A Varsovie et à Cracovie, une presse clandestine se crée pour informer la population du ghetto. Dans des appartements privés, on prépare en secret des classes entières au baccalauréat. On organise la contrebande de nourriture, de vêtements et de médicaments, plus tard d’armes. Dans les ghettos, des militants de divers partis politiques fondent des organisations politiques clandestines, d’où surgiront les premiers groupes de combat.

3 - La déportation des Juifs du ghetto au centre de mise à mort de  Treblinka (juillet 1942-mai 1943)





    Lorsque le 22 juillet 1942, les Allemands annoncent une opération de « transfert des populations vers l'Est », c'est-à-dire la déportation vers les camps de la mort, en l’occurrence Treblinka, le président du "Conseil Juif" du ghetto, Adam Czerniakow, se suicide (23 juillet) pour ne pas avoir à livrer les enfants aux nazis. Les derniers mots de ses carnets sont les suivants : « On exige de moi de tuer de mes propres mains les enfants de mon peuple ».



Tombe d’Adam Czerniakow à Varsovie



Monument à Janusz Korczak, (1878-1942) au cimetière de Varsovie. Médecin, écrivain et pédagogue, directeur d’un orphelinat, Korczak refuse la protection du Judenrat, et le 6 août 1942, il est déporté à Treblinka avec 200 enfants.
    Les Juifs sont rassemblés sur l’Umschlagplatz, près d’une gare, avant d’être entassés dans les convois de déportation. Un monument y commémore aujourd’hui l’anéantissement des Juifs de Varsovie.




4 - L'insurrection du ghetto

    Le 9 janvier 1943, visite d'Himmler qui donne ordre d'exterminer les habitants du ghetto. Pour cela, le 18 janvier, a lieu une deuxième vague de déportation. Mais face à une résistance armée, les SS allemands et autrichiens doivent interrompre la « deuxième action ».
Le soulèvement a commencé le 19 avril 1943, déclenché par 400 insurgés de ŻZW (Union Militaire Juive) conduits par Dawid Moryc Apfelbaum et Paweł Frenkel et environ 40 combattants de la ŻOB (Organisation juive de combat) sous les ordres de Mordechaj Anielewicz.





    Le combat, dont la SS prévoyait qu’il durerait trois jours, s’étend sur près d'un mois.
    Faisant usage de mitrailleuses et de lance-flammes, de lance-grenades et de canons, trois mois après la défaite de Stalingrad, la SS réussit à remporter une victoire sur 56 000 civils — hommes, femmes et enfants. Durant les combats environ 7 000 résidents du ghetto ont été tués, 6 000 ont été brûlés vifs ou gazés durant la destruction totale du quartier. Les Allemands déportèrent les survivants dans le camp d'extermination de Treblinka et les camps de travail de Poniatowa, de Trawniki et de Majdanek.
    Au bout de quelques jours de combat, le général SS Jürgen Stroop ordonne de mettre le feu au ghetto, enfume les égouts, détruit les usines. Les Waffen SS, la Wehrmacht, et leurs auxiliaires  prennent maison après maison. C’est ainsi que le 8 mai, Mordekhaï Anielewicz se suicide,  comme  la plupart des insurgés survivants. Malgré tout, le 10 mai, Marek Edelman et quelques autres s'enfuient par les égouts. Le 12 mai, Szmul Zygielbojm se suicide à Londres pour protester contre la conspiration du silence des gouvernements alliés.
    Le 16 mai, «  180 juifs, bandits et êtres inférieurs ont été anéantis. Le ci-devant quartier juif de Varsovie n'existe plus. » Écrit  le SS Jürgen Stroop. Le ghetto est rasé.  Plus d’un million de Juifs ont combattu dans les armées alliées. Mais le soulèvement du ghetto de Varsovie, que les SS ont filmé pour en faire un documentaire à leur propre gloire, demeure le symbole de toutes les résistances.
    L'impact psychologique de l'insurrection du ghetto de Varsovie a été très important. La résistance a été plus forte que prévue par les Allemands, même si l'issue était certaine vu le déséquilibre des forces - My nie chcemy ratować życia. Żaden z nas żywy z tego nie wyjdzie. My chcemy ratować ludzką godność (Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine) - Arie Wilner (pseudo Jurek) soldat de la ŻOB.




    La plupart de ceux qui réussissent à s’évader des ghettos et des camps, qui échappent aux exécutions de masse ou qui sautent des trains de déportés, rejoignent les partisans dans les forêts. Dans le sud et l’est de l’Europe, là où les conditions géographiques le permettent, on mène la lutte armée. Dans l’ouest de l’Europe, la résistance se concentre sur la fabrication de faux papiers, l'aménagement de caches clandestines et de passages pour les réfugiés juifs en pays neutres.

Chronologie

1939

1er septembre : les armées d’Hitler envahissent la Pologne
28 septembre : les Allemands entrent à Varsovie
10 novembre : obligation faite aux juifs de la capitale âgés de plus de douze ans de porter sur le bras droit un brassard blanc avec l’étoile de David bleue.

1940

Janvier : recensement des juifs âgés de douze à soixante ans pour les travaux forcés.
6 octobre : couvre-feu pour les juifs à 19 heures jusqu’à 8 heures du matin.
16 novembre : les juifs sont enfermés dans le ghetto de Varsovie avec l’inscription : « Danger de typhus » (Seuchensperrgebiet).

1941

Avril : création d’entreprises dans le ghetto travaillant pour les Allemands, nommées shops.
18 septembre : les nouvelles limites du ghetto réduisent sa superficie.

1942

Janvier : confiscation de toutes les fourrures du ghetto.
16 février : passerelle entre le grand et le petit ghetto.
22 juillet – 12 septembre : déportation des 300 000 juifs à Treblinka.

1943

18 janvier : première révolte dans le ghetto de Varsovie.
19 avril – 16 mai : soulèvement du ghetto.
Mai 1943 – 1er août 1944 : camp de travail sur les ruines du ghetto.

1944

1er août – 2 octobre : insurrection de Varsovie

1945

17 janvier : libération de Varsovie.

Conclusion

    Le ghetto de Varsovie est un ghetto emblématique par son organisation « remarquable », son histoire et son horreur. Tout, dans ce ghetto, avait été pensé par les nazis, pour contribuer à l'extermination totale de la « race » juive. Il y eût 300 000 déportés sans compter les milliers de morts au sein du ghetto, furent les victimes du génocide. Malgré toutes ces horreurs, grâce au courage, à la détermination et au soutien mutuel des habitants du ghetto et à quelques aides extérieures, ils réussirent à se battre pour leur survie et contre l'idéologie nazie. Au final, même si ce fut une défaite,  on garde en souvenir un acte héroïque prouvant que malgré les conditions inhumaines dans lesquelles ils vécurent, ils n'hésitèrent pas à se sacrifier pour mourir dignement.

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