dimanche 1 février 2015

dimanche 1 février 2015

L'organisation du ghetto de Varsovie

Un enfant du ghetto qui lève les bras

L'organisation du ghetto de Varsovie


Beverly, 19 ans m'écrit : « J'ai lu beaucoup de livres et des documents sur le Ghetto de Varsovie, mais une question me reste dans la tête celle de savoir le fonctionnement officiel et clandestin du ghetto. »

Le Judenrat

     Dès la création du Ghetto de Varsovie, à la fin de 1940, les nazis imposèrent la création d'un "Conseil juif" de 24 membres : le Judenrat. 
Les ruines du bâtiment du Judenrat, en 1946
Les ruines du bâtiment du Judenrat, en 1946
     Sous la pression constante des nazis, le Judenrat, sous la direction d'Adam Czerniakow, mit en place un système de services sociaux, éducatifs, religieux et médicaux pour faire face aux problèmes énormes causés par l'afflux des Juifs dans le ghetto. Il y eut jusqu'à 500.000 personnes au début de 1942.
Un membre du Judenrat compte les cadavres des Juifs morts de faim ou de maladie, avant un enterrement en fosse commune, dans le Ghetto de Varsovie.
Un membre du Judenrat compte les cadavres des Juifs morts de faim ou de maladie, avant un enterrement en fosse commune, dans le Ghetto de Varsovie.

Le rôle du Judenrat

Un "Conseil juif" (Judenrat) est créé par les nazis en octobre 1939. Il s'agit de dirigeants juifs auxquels les nazis s'adressent pour gérer la situation. Ils doivent faire régner l'ordre dans le ghetto et tentent, dans des conditions impossibles, d'améliorer le sort des habitants.
Photo : des hommes distribuent une soupe à partir de grandes casseroles. Ceux qui la reçoivent sont chaudement vêtus : les femmes et filles portent un fichu sur la tête.
Le "Conseil juif" tente d'organiser des cantines populaires,
mais de moins en moins de nourriture entre dans le ghetto.
Photo, une quinzaine de policiers juifs en uniforme défilent en rang par trois. Ils ont à la main une matraque et regardent vers l'objectif.
Mais surtout le "Conseil Juif" a organisé, à la demande des Allemands,
une police juive (Jüdisher Ordmungsdienst) chargée de
maintenir l'ordre.

Adam Czerniakow

     Adam Czerniakow est né à Varsovie en 1880. Il a fait des études d'ingénieur. De 1927 à 1934, il a été conseiller municipal de Varsovie et en 1931, il fut élu au Sénat de Pologne.      Le 4 octobre 1939, quelques jours après la prise de Varsovie par les nazis, Czerniakow fut nommé à la tête du Conseil Juif de Varsovie (Judenrat), créé par les nazis pour faire régner l'ordre dans la communauté juive et transmettre leurs ordres.      Il écrivit au jour le jour son journal durant cette période. Adam Czerniakow y consigna tous les jours, à la hâte, les démarches qu'il entreprenait en tant que président du conseil juif de Varsovie auprès des autorités allemandes et tous les événements qui émaillaient le martyre du ghetto. Les neuf carnets qu'il écrivit constituent un document unique. Ils ont été publiés aux éditions La découverte.
Adam Czerniakow
Adam Czerniakow
     Lorsque le 22 juillet 1942, les Allemands annoncent une opération de « transfert des populations vers l'Est », c'est-à-dire la déportation vers les camps de la mort, le président du "Conseil Juif" du ghetto, Adam Tcherniakov, se suicida (23 juillet) pour ne pas avoir à livrer les enfants aux nazis. Les derniers mots de ses carnets sont les suivants :
« On exige de moi de tuer de mes propres mains les enfants de mon peuple. »
La tombe d'Adam Czerniakow
La tombe d'Adam Czerniakow
au cimetière Okapawa, à Varsovie.

Les organisations clandestines : sionistes et bundistes

     Il existait dans la population plusieurs organisations politiques. Le principal clivage était entre les organisations sionistes qui luttaient principalement, avant la guerre, pour l'émigration vers la Palestine et des organisations du mouvement ouvrier comme le Bund, parti révolutionnaire juif fondé en 1897, qui luttaient sur place.
Manifestation du Bund
Manifestation du Bund
Dans la doctrine du Bund il y a la notion de " Doykayt ". C'est l'idée qu'une communauté choisit de se développer là où elle est et de s'enraciner dans sa terre natale. " Doykayt " signifie " être là ", c'est un néologisme yiddish, pour dire " vivre dans le pays où nous sommes nés ". Le Bund a toujors refusé de faire partie des conseils juifs qui devaient appliquer les directives nazies.
De toutes façons, les clivages dans le ghetto perdirent vite leur sens : les sionistes virent leur rêve d'émigration devenir impossible, tout comme l'espoir d'une révolution pour les Bundistes. Bientôt il ne s'agit plus que de survie et de dernière révolte.
Les organistions marxistes comme le Bund prirent une grande part au soulèvement du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943, mais on n'y rencontra également des sionistes de tout bord : sionistes de gauche du  Poalei Zion (Travailleurs de Sion) mais aussi les partisans de Jabotinsky, le Bétar, les sionistes de droite.

Les comités d'immeuble

     Dans le ghetto, le couvre-feu bloque chez eux les Juifs et les amène à fréquenter leur voisins. Les immeubles de Varsovie sont souvent construits autour d'une cour centrale. Des comités d'immeubles, environ un millier, vont se créer clandestinement. C'est la seule organisation démocratique du ghetto puisque les délégués d'immeuble sont élus par les habitants. Un président, un secrétaire, un trésorier et de nombreux délégués au ravitaillement sont ainsi désignés. Un tribunal arbitral de trois juges, lui aussi parfaitement illégal, règle les litiges. Une commission centrale dont le président est l'avocat Michel Mazot visite régulièrement les immeubles. Toutes ces activités sont bénévoles.
     Le Judenrat tentera à plusieurs reprises de contrôler les comités d'immeuble (il détient le secteur de l'aide sociale), mais ne semble pas y être parvenu.

Des activités sportives et culturelles

     Des associations (devenues illégales) tentent de se reconstituer et de continuer à agir. Des cantines, des écoles, des mouvements de jeunesse, des clubs sportifs, des chorales sont constitués ou reconstitués.
Parmi ces organisations on peut citer le SKIF (activités pour occuper les jeunes enfants) et Morgenstern, une association sportive qui organisera des séances de gymnastique en groupe dans des maisons en ruine, faute de tterrain de sport.

Tenter de savoir et informer

      Les premières rafles de juillet 1942 n'entraînent pas de réaction immédiate des organisations juives et des habitants du ghetto. Les Allemands disent qu'on emmène les Juifs vers l'Est pour travailler. Le manque de ressources et le chômage forcé sont tels que certains accueilleraient presque la nouvelle des déportations avec soulagement.
     Très vite, les organisations juives veulent savoir ce qu'est ce Treblinka dont ils ont appris l'existence. Un membre du Bund, Zalman Friedrich, va tenter l'incroyable, aller à Treblinka. Âgé de 32 ans, il est né à Varsovie dans une famille très religieuse (hassidique). Cependant, lui même adhérera au Bund, parti socialiste juif. Il est blond aux yeux bleus et c'est la raison pour lquelle il est désigné pour cette mission, au début du mois d'août 1942. Il  contacte un cheminot qui le prend dans un train de voyageurs vers Treblinka. Zalman Friedrich descent à la dernière gare de voyageurs avant le camp : Sokolow, à une quarantaine de km de Treblinka. Là, il rencontre Uziel Wallach, déporté en juillet 1942 et qui a réussi à s'évader du camp. C'est aussi un bundiste. Il lui raconte ce qu'il a vu : la sélection de quelques homems, la séparation des hommes et des femmes à qui l'on dit qu'ils vont aller travailler, le dshabillage, le boyau dans lequel ils sont poussés à coups de trique, la baraque de "douches", les portes qui se ferment, les cris...
Varsovie-Treblinka
Varsovie-Treblinka,
deux voies ferrées serviront à la déportation.
(Carte Martin Gilbert)
     Zalman rentre à Varsovie. Il reste à convaincre les Juifs de ce qui se passe. Le Bund publie l'avertissement dans l'édition du 20 septembre de son journal Oïf der Vache (En garde), avec une description précise du camp de Treblinka. L'article se termine par un appel :
Ne vous laissez pas tromper !
Rejetez toutes vos illusions !
Vous êtes conduits à la mort,
à l'extermination !
Ne les laissez pas vous anéantir !
Ne vous laissez pas vous-même emmener par ceux qui vont vous tuer !
     Dès ce moment, ce qui se prépare dans les organisations juives, c'est le combat armé.

L'exécution des traitres

L'Organisation Juive de Combat exécute les condamnations à mort prononcées contre les traîtres au peuple juif. Elle publie la déclaration suivante sur l'attentat contre Leikin, chef de la police juive :

« Par la présente on annonce à l'opinion publique qu'en accord avec l'accusation des officiers et des fonctionnaires, l'ordre d'exécution de Jacob Leikin a été accompli le 29 octobre à 18 h 10. Les actes de répression suivants seront accomplis impitoyablement avec la plus grande précision. Sont accusés de trahison :
  • 1° Le président du Judenrat (Conseil juif) pour avoir accepté et signé les déportations.
  • 2° Les chefs et les administrateurs des shops pour opprimer la masse.
  • 3° Les chefs de groupe et les fonctionnaires de Werkschuzt pour leurs persécutions contre les ouvriers et la population « illégale ».

« Ces actes de justice seront accomplis impitoyablement ».


L'insurrection et les organisations juives

Mordechai Anielewicz, commandant de l'Organisation Juive de Combat
Mordechai Anielewicz,
commandant de
l'Organisation Juive de Combat

     Au mois d'octobre 1942, les organisations résistantes se réunissent et créent l'Organisation juive de combat (OJC) avec un commandant de la Hashomer (sionistes), Mordechaï Anielewicz, et un adjoint du Bund, Marek Edelman. L'OJC n'a que très peu d'armes : quelques dizaines de revolvers en mauvais état, des grenades et des cocktails Molotov fabriqués sur place, quelques fusils et un seul pistolet-mitrailleur. Des groupes de combat sont formés qui pratiquent des attentats, attaquent des SS et libèrent des prisonniers. L'OJC règne dans le ghetto qu'elle couvre d'affiches, avec le soutien de la population restante. C'est alors que les Allemands décident d'en finir.      Le 19 avril 1943, à 4 heures du matin, 2000 à 3000 Waffen SS, auxiliaires ukrainiens, lettons et policiers polonais, commencent à pénétrer dans la place. Ils seront rejoints par des troupes motorisées, des blindés et de l'artillerie. A leur grande surprise ils seront accueillis par un déluge de feu venant des quatre coins des rues. Il y aura de nombreux morts et deux chars seront incendiés. Après quelques heures de combats acharnés les assaillants s'enfuient. Ils referont une tentative le lendemain mais sans plus de succès. Ce n'est qu'au troisième essai qu'ils parviendront jusqu'au ghetto central qui sera incendié et littéralement rasé. La moitié des combattants juifs périra pendant les combats. La plupart des survivants décideront de se suicider collectivement et parmi eux, Mordechaï Anielewicz qui était à la tête de l'OJC. Quelques combattants parviendront à s'enfuir par les égouts et rejoindront la Résistance polonaise. Parmi eux Marek Edelman qui a rapporté ultérieurement, de façon émouvante et vivante, l'histoire de l'insurrection.
Chana Frysdorf, Marek Edelman, Feygl Peltel, trois membres de l'Organisation Juive de Combat
Marek Edelman, dirigeant de l'Organisation Juive de Combat,

Bibliographie:

Les carnets d'Adam CzerniakowLes carnets d'Adam Czerniakow, éditions La Découverte, 1996
Ghettos en révolteLarissa Cain, Ghettos en révolte, Pologne, 1943, Collection Mémoires, Editions Autrement, 2003
Marek EdelmanMarek Edelman, Mémoires du Ghetto de Varsovie, Liane Levi, 1993-2002
Hillel Seldman, Du fonds de l'abîmeHillel Seldman, Du fonds de l'abîme, Journal du ghetto de Varsovie, Plon, 1998
Le pianiste
Wladyslaw Szpilman, Le Pianiste, Poche, 2003

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